L’immortelle paysage (commissaire invité : Pierre Duval)

Bahar kocabey


44 rue de Sévigné - Paris, 3ème
Du 3 avril au 2025

Détails de “l’exposition L’immortelle paysage”, Bahar Kocabey, avril 2025 © Daniela Ometto

Un seul paysage ne fait pas le printemps. À l’éveil de cette saison, Bahar Kocabey nous invite, à l’occasion de sa première exposition personnelle l’Immortelle paysage, à la galerie Fahmy Malinovsky, à une odyssée dans un panorama du Kurdistan et de ses paysages.

Influencée par les légendes transmises oralement, l’artiste dessine et immortalise son histoire familiale tout en élevant le récit kurde sur de nombreux supports. En effet, à travers un regard interposé, Bahar Kocabey construit des paysages où chaque élément devient une ligne de cette histoire. Ainsi, du portrait de son père esquissé sur des céramiques au paysage sur les murs d’exposition, tout devient un théâtre visuel où chaque œuvre coexiste avec les autres. Ces mises en abîmes révèlent le paysage dans le paysage, illustrant une juxtaposition des perceptions et des couches de son identité. Par l’utilisation d’une esthétique naïve, elle pose une vision teintée d’humour, qui révèle avec subtilité les incidences de cet héritage.

Derrière cette façade se dissimule une histoire lugubre qui refait surface sous nos yeux. À travers les fenêtres d’une voiture, les paysages défilent et ne se ressemblent pas. Des plaines aux montagnes, elle dépeint une réalité où la nature dans une nouvelle splendeur reprend ses droits après les ravages des forêts brûlées. Cette résilience se manifeste dans le renouveau des immortelles elles-mêmes. Au loin, les résistantes et résistants se laissent apercevoir, gravissant les cimes des montagnes. Où vont-ils ? Que restent-ils de leur résistance ? Qu’ont-ils laissé derrière eux ? Bahar Kocabey nous convie à un après-midi sous les aléas du temps qui s’écoule laissant les traces de souvenir ressurgir sur notre rétine.

L’artiste repense la pop culture des régions extra-occidentales, comme l’effet stylistique délibéré qu’ils sont. Le « cute », le « kitsch », creusent aussi l’écart entre le moyen et ce qu’il vise, l’allure et ce qu’elle accuse. L’artiste romantise des paysages désolés, terrains vagues quasi-désertiques et constructions inachevées. Elle dépose son filtre. Elle ajoute sur l’image un cœur, à la manière des stickers que proposent les réseaux sociaux. Une “strassification” qui rappelle aussi ce geste lointain, lorsque nous marquions nos agendas de motifs tendres, de paillettes de pacotilles, sceau d’innocence au beau milieu des embrasements de l’adolescence.

LElle prend soin de laisser le temps au spectateur de s’approprier les dessins muraux et de s’en imprégner pour imaginer les histoires. Elle veille à ce que chaque dessin reflète la terre de ses ancêtres. Ces mêmes paysages s’apparentent à des reconstitutions incertaines de ces printemps passés. En apparence, ces paysages, qui paraissent paisibles et bucoliques, révèlent en réalité une tout autre histoire cachée dans les profondeurs de ses lignes. Dans ses horizons, nous sommes les témoins d’une histoire dont la mémoire vibre sous notre regard. Ces paysages, par leur nature même, suscitent des sensations et des émotions qui s'avèrent être souvent contradictoires. L’artiste suggère ce que nous devons percevoir. Ainsi, certains regardeurs y verront un paysage apaisé, au sens premier du terme, tel un enfant face à une fable qu’on lui raconte, tandis que d’autres percevront les messages que Bahar infiltre dans ces paysages muraux ou dans ses sculptures de fruits.

Par un jeu subtil de compositions, l’artiste nous convie à un instant de convivialité où les résistantes et résistants nous protègent et sèment sur leur passage des graines et des indices de leur périple. Une exposition où le combat des femmes et des hommes se lie à la résilience millénaire du paysage. Dans la renaissance du printemps, les œuvres de Bahar Kocabey nous immergent dans la complexité et la richesse du récit kurde, mettant en lumière les luttes et les paysages avec une maîtrise et une sensibilité remarquables. Cette exposition s’inscrit dans la démarche de l’artiste où les transformations du paysage sont au cœur de la réflexion, invitant le spectateur à un périple à travers les méandres au sein de la galerie Fahmy Malinovsky transformée à l’occasion en un espace de découverte et d'exploration dans le travail de l’artiste.

Pierre Duval

Artiste franco-kurde, Bahar Kocabey est née en 1995, elle vit et travaille entre Paris et Urzy.

Elle explore les thèmes de l’identité et de la mémoire culturelle à travers des supports tels que la céramique et le dessin. Formée aux Beaux-Arts de Paris et de Bourges, elle mêle techniques contemporaines et traditions pour créer des œuvres introspectives, nourries par la question kurde et son rapport aux espaces naturels.

Elle a exposé au Palais des beaux-arts de Paris dans le cadre de l’exposition L’art et la vie et inversement, sous le commissariat d’Anaël Pigeat, ainsi qu’à la Fondation Pernod Ricard dans le cadre du programme de L’avancée. Elle a également été en résidence en Arabie Saoudite à Riyadh, au Misk Art Institute.

© Daniela Ometto, photographies