Nul n’écoute le silence des autres.
Commissaire : Chirine Hammouch Exposition réalisée en collaboration et avec le soutien de Cécile Dubuc
Éric Dubuc
44 rue de Sévigné - Paris, 3ème
Du 16 octobre au 13 décembre 2025
La galerie Fahmy Malinovsky accueille cet automne une exposition monographique dédiée à Éric Dubuc (1961-1986) sous le commissariat de Chirine Hammouch, historienne de l’art et critique d’art.
Éric Dubuc est une inédite comète de l’histoire de l’art moderne, dont la période de création s’est concentrée sur cinq intenses années avant sa brutale disparition à 25 ans. Qu’une galerie d’art contemporain ouvre son programme à un jeune artiste des années 1980 peut a priori surprendre. Nous faisons grâce à lui une place à un peintre qui s’inscrit dans la foisonnante lignée de la Nouvelle Objectivité, mouvement artistique et littéraire allemand des années 1920 associé à une implacable et lucide critique sociale d’une Europe qui s’enfonce dans la crise économique et le fascisme. Redécouvrir aujourd’hui cette peinture, dans le contexte politique, économique et social actuel, dont nous connaissons les funestes accointances avec le début du XXᵉ siècle, rend au regard d’Éric Dubuc une actualité cinglante.
Cette exposition est aussi un moyen d’engager la galerie sur une réflexion plus globale sur ce que signifie “soutenir la création émergente”. Comment la reconnaître et la soutenir ? Comment faire le portrait de la précocité et de la fulgurance d’un artiste où tout son potentiel à venir est contenu ? Les débuts s’adressent à une postérité imaginaire. Pour une galerie cela impose le même tâtonnement et une forme de contretemps. Il faut devancer avec l’artiste une attente encore informulée. Le destin d’Éric Dubuc illustre idéalement cette leçon : la jeune création contemporaine ne peut pas être de son temps. Elle prolonge également le thème prégnant dans notre programmation de la filiation, la responsabilité qui incombe aux suivants, à ceux qui doivent poursuivre devant le manque et la disparition - et prospérer à partir des représentations manquantes.
Détails de Nul n’écoute le silence des autres, Éric Dubuc, octobre 2025 © Daniela Ometto
Accueillir l’exposition Éric Dubuc c’est aussi et avant tout dans l’ordre des rencontres accueillir un duo, sa sœur, Cécile Dubuc et Chirine Hammouch. C’est faire une forme de révérence admirative au long, sinueux et émouvant travail de Cécile pour la reconnaissance et la diffusion des œuvres de son frère, notamment par d’ambitieuses donations. Et c’est partager la découverte de Chirine, saisie par l’œuvre de ce jeune homme, prise d’une curiosité insatiable sur ce qu’il était et poursuivait dans son art, comme s’il était vivant, qu’elle venait de sortir de son atelier.
Né en 1961 à Paris d’un père français et d’une mère allemande, Éric Dubuc passe les trois premières années de sa vie en Allemagne dont il apprend la langue. La famille revenue s’établir à Paris, il reçoit une éducation française, mais le pôle germanique demeurera toujours présent à travers la littérature et la peinture qui façonneront son imaginaire.
Il effectuera des séjours réguliers chez ses grands-parents à Mannheim où il découvrira dans les musées d’outre-Rhin les expressionnistes et les artistes de la Nouvelle Objectivité : Dix, Grosz, Beckmann qui paraissent si étranges et lointains à un jeune Français. Sa vocation artistique et son indépendance d’esprit s’affirment très tôt, favorisées par une scolarité à la Libre école Rudolf Steiner de Paris. Il s’inscrit ensuite à l’École des Beaux-Arts qu’il ne fréquente qu’une seule année.
Après les premiers tâtonnements tumultueux du côté de Van Gogh, il opte pour une manière dépouillée, stylisée, où la figure est allongée et la ligne sinueuse dans une veine expressionniste. La période de formation (1981-1983) où il cherche sa voie sera scandée par des voyages lointains, solitaires et parfois périlleux. Pour lui ce ne sera pas l’Italie classique mais l’Inde, le Népal, le Soudan, le Zaïre. Il sera confronté à la misère, à la violence, en ramènera le paludisme qui nécessitera son hospitalisation. Ce sera l’occasion d’une série d’autoportraits sombres où il se représente allongé sur son lit d’hôpital et où la souffrance sinon la détresse s’exprime avec une muette sobriété.
De la dernière œuvre qu’Éric Dubuc exécuta juste avant de se donner la mort, peut-être son plus beau dessin, émanent une solitude, une tristesse émouvante et pudique. Un arbre dépouillé, au tronc noueux et aux branches tourmentées, se dresse isolé, rendu avec une précision hallucinante qui rappelle Caspar David Friedrich. Puis le silence*.
Yves Kobry, critique d’art
*Extraits du texte écrit pour la préface de la monographie Éric Dubuc publiée aux éditions du Héron en 2007
© Vues de l’exposition - Daniela Ometto
Texte de Chirine Hammouch, Commissaire de l’exposition
Éric Dubuc est né le 4 juillet 1961. Il est décédé le 10 septembre 1986, à l’âge de 25 ans. Il était de ces êtres dont la vie traverse leur époque tel un météore. Un astre brûlant dont l’œuvre foisonnante peut être contenue en trois années : 1983-1986. Cette période, intense en production et brève par la durée, concentre les œuvres les plus abouties, les plus parfaitement atteintes dans le style placide et sans concession en partie hérité de la Nouvelle Objectivité.
Il y eut, en premier lieu, une série d’autoportraits dessinés, gravés, peints et photographiques, fruits d'une quête irrépressible et désespérée de figer son visage dans cette jeunesse qui ne le quittera pas. L’Autoportrait au miroir (1984), voulu comme pièce maîtresse de l’accrochage, constitue, à ce titre, une porte d’entrée privilégiée vers son monde intérieur.
Inscrire Éric Dubuc dans l’histoire de l’art du dernier quart du XXᵉ siècle mais aussi celle plus récente qui affirme le triomphe de la peinture figurative a été le désir à l’origine de ce projet monographique. Cette exposition, pensée comme le prolongement de l’accrochage présenté au Musée d’Art moderne de Paris l’année dernière sous le commissariat de Julia Garimorth, souhaite dévoiler les études préparatoires des œuvres qui y furent exposées. Aussi, nous tenions à proposer plusieurs études de l’Autoportrait au bar (1985) exécutées à la plume et à l’encre de Chine, une acrylique sur toile sur le thème de l’Accident de voiture (1984) et deux autoportraits réalisés en 1986 dans le studio-atelier de la rue des Gobelins.
Avec le regard bienveillant et généreux de Cécile Dubuc, la sœur cadette de l’artiste, cette exposition n’entend pas seulement rendre hommage au peintre, graveur, dessinateur, photographe et sculpteur qu’était Éric Dubuc mais aussi au jeune homme qu’il fut. Un volet documentaire présentera au public une lettre datée du 17 août 1986, rare écrit dans lequel l’artiste précise son dessein ainsi que des archives photographiques. Un intense dialogue entre création artistique et littéraire permettra d’aborder l’œuvre d’Éric Dubuc par le prisme de ses lectures. Des ouvrages de Kafka, Musil, Zorn, Sartre, Artaud et Dostoïevski, choisis pour l’acuité du regard porté sur la solitude urbaine, seront mis à disposition des visiteurs.
Enfin, réunissant tous les motifs qui intéressaient le peintre - le spectacle de la rue, la femme au chien urinant, l’homme ivre, le bistrot et l’accident de voiture - deux dessins donneront à voir, comme en testament, le sujet d’un projet inachevé : Les Grands magasins (1985), une œuvre qui avait la promesse du génie contenu dans tous les dessins, dans toutes les gravures et dans toutes les toiles d’Éric Dubuc.

